L’impôt à 80%: Hollande en aurait rêvé, la Suisse romande l’a fait
L'entrepreneur vaudois Marc Ehrlich dénonce comme confiscatoire le traitement fiscal des propriétaires de PME et réclame une intervention politique
La Suisse un enfer fiscal ?
En voilà une affirmation qui va bien surprendre nos voisins européens, pour qui l'image d'un Helvète est représentée par un banquier quadragénaire, Cohiba, aux lèvres conduisant nonchalamment sa SL 63 AMG en conf-call avec ses clients exilés fiscaux qui lui permettent de s'enrichir insolemment, sans payer d'impôts, dans le pays au salaire moyen le plus élevé du monde !
Belle image… à part le cigare et avec 10 ans de moins elle me conviendrait bien.
Par contre la réalité est tout autre, quand on a eu la volonté de devenir entrepreneur en Suisse (le pays le plus cher du monde également).
Cet excellent article, du magazine « Le Temps » nous explique, avec une très belle vulgarisation, à quel point la fiscalité cumulée en Suisse peut devenir délirante et pourquoi si on est entrepreneur il convient de ne surtout plus être domicilié dans son pays et finalement ne rien posséder.
Suite à cette lecture je me suis rappelé les paroles d'un ami expert-comptable qui me disait il y a déjà 15 ans en arrière : « Mais si ton entreprise décolle vraiment fort, surtout quitte la Suisse autrement tu seras assassiné fiscalement »
Heureusement il y a des solutions légales pour ceux qui ont une vision globale…
par Alain Farrugia
«Certains considèrent l'entrepreneur comme un loup qu'on devrait abattre, d'autres pensent que c'est une vache que l'on peut traire sans arrêt. Peu voient en lui le cheval qui tire le char.»
Cette citation attribuée à Sir Winston Churchill aurait-elle une résonance particulière en Suisse romande?
Tous les partis politiques – de la gauche à la droite – sont unanimement en faveur des PME, socle de notre tissu économique. Mais qu'en est-il du traitement fiscal des entrepreneurs qui sont à la base de ces entreprises?
Les impôts me prennent 80% de mon temps et de mon énergieJe suis personnellement un entrepreneur vaudois et ma société emploie 170 personnes. Je démarre mon année civile comme tout le monde au 1er janvier; toutefois, et ce environ jusqu'au 19 octobre de chaque année, l'entier de mes revenus est exclusivement consacré au paiement de mes différents impôts et taxes. Les impôts me prennent donc 80% de mon temps et de mon énergie.
Pourquoi et comment cela peut-il être possible dans un pays considéré par beaucoup comme un paradis fiscal, dans une région où les taux d'impôt marginaux les plus élevés se situent aux environs de 30-40%, et où l'extrême gauche dénonce de toutes parts les nombreux cadeaux faits aux gros actionnaires?
La situation spécifique de l'entrepreneur est ignoréeC'est que, voyez-vous, les entrepreneurs ne sont pas uniquement taxés sur leurs revenus, mais également sur leur fortune. Cela paraît bien raisonnable, puisque ce système est appliqué à l'ensemble de la population.
Il existe toutefois des spécificités bien particulières en ce qui concerne la fortune des entrepreneurs. En premier lieu, leur fortune est souvent constituée en très grande partie des actions qu'ils détiennent dans leur entreprise. Or, la propriété d'une entreprise est difficilement fractionnable, contrairement par exemple à un simple portefeuille d'actions cotées à la bourse. Qui achèterait, et surtout à quel prix, une part de 5% ou de 10% d'une entreprise dont il n'aurait pas le contrôle et sans possibilité simple de revente?
L'entrepreneur est par conséquent souvent confronté au choix de céder l'entier de sa société, afin de pouvoir dégager les fonds nécessaires au paiement des impôts auxquels il doit faire face. Cette situation arrive parfois indépendamment de la bonne marche des affaires.
Un impôt personnelPrenons un exemple concret: une entreprise est propriétaire depuis 20 ans de 10 000 m2 de terrains industriels. Ce terrain indispensable à l'exploitation vaut aujourd'hui, en raison de l'augmentation des prix immobiliers, 10 millions de francs. Il en résulte un montant identique pour la valorisation de l'entreprise… et pour la fortune de l'entrepreneur qui la détient. Ce qui donnera un impôt sur la fortune d'environ 80'000 francs par an, pour ce seul actif qui lui appartient indirectement. L'entrepreneur devra, pour s'acquitter de cet impôt personnel, y compris durant les années difficiles, prélever de son entreprise un montant de 130 000 francs (aux 80 000 francs s'ajoutent l'impôt sur le revenu et les charges sociales associées à ce retrait).
Il existe une deuxième spécificité évidente à la fortune de l'entrepreneur. Son argent, il le consacre en grande partie au développement de son entreprise. Le décourager par une fiscalité confiscatoire, c'est décourager le développement de l'emploi, du tissu économique et de son rayonnement. Le célèbre slogan «Just do it!» se transforme dans ces conditions en «Do it, but not too much!».
Une singularité en EuropeN'oublions pas que des entreprises comme Nestlé, Roche et Novartis ont toutes été fondées un jour par un entrepreneur. Celui-ci a su faire grandir sa société pour le bien de tous.
Dans le détail, comment arrive-t-on à un taux d'imposition de 80%? Le canton de Vaud a mis en place un bouclier limitant l'impôt total à 60% du revenu fiscal. A cela s'ajoute l'IFD (12%), ainsi que les charges sociales diverses. Dans les cantons de Genève et du Valais, la situation n'est d'ailleurs pas vraiment différente.
Ce cas de figure est réellement une singularité en Europe. Chez nos voisins français – peu connus pour la bienveillance de leur système fiscal – une imposition de 75% sur les très hauts revenus avait été promise par le candidat Hollande, mais n'a pas été mise en place par le président Hollande, suite à l'opposition à un taux considéré comme étant confiscatoire. Hollande l'a rêvé, la Suisse Romande l'a fait! L'impôt sur la fortune en France (ISF) exclut d'ailleurs expressément de son calcul l'outil de production.
Des solutions pragmatiques existent pourtant. La plus simple consiste à appliquer un coefficient plus faible (de l'ordre de 20%) sur la part de fortune composée d'actions dites qualifiées (plus de 10% du capital).
Des solutions pragmatiques existentCe procédé permettrait non seulement aux entrepreneurs de développer leur société, mais serait également un encouragement pour les personnes disposant d'une fortune d'en consacrer une partie au financement de start-up et de PME. J'y vois donc un excellent moyen d'apporter des fonds dans un domaine où notre région est particulièrement dynamique, mais n'a pas assez de visibilité pour attirer des investisseurs étrangers en nombre suffisant. Le canton de Zurich l'a bien compris, en votant une nouvelle loi qui devrait permettre une fiscalité sur la fortune avantageuse en cas d'investissement dans une start-up. Une motion allant dans ce sens a été déposée par le conseiller National Fathi Derder en 2015.
Après l'exemple médiatisé de la vente de Serono au groupe allemand Merck en 2007 par la famille Bertarelli, qui avait entraîné la fermeture du site de Genève en 2012, combien faudra-t-il de ventes de PME inconnues du grand public à des groupes étrangers avant que nos administrations ne réagissent enfin à ce problème?
Ces PME constituent le vrai tissu économique de notre région. En cas de cession, les licenciements éventuels qui peuvent en découler malgré les promesses des acheteurs ne sont souvent pas assez significatifs pour que le grand public en soit informé.
Quand nos pouvoirs cantonaux prendront-ils finalement conscience que l'entrepreneur ne doit pas être le laissé-pour-compte des réformes fiscales en cours, et devrait être aussi considéré comme le cheval qui tire le char?
Marc Ehrlich est entrepreneur dans le canton de Vaud.
Source : Le Temps